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Réflexions sur le G20 à Hambourg et sur la révolte

Les textes suivants sont un petit aperçu de discussions qui ont occupé quelques anarchistes à Hambourg au cours des dernières semaines et des derniers mois.
Le premier texte tente de replacer la réalisation des sommets de l’OSCE et du G20 dans le contexte de Hambourg et de décrire les pas qu’ont décidé de faire des individuali- tés anti-autoritaires. Il a été écrit avant le sommet du G20. Le deuxième texte a surgi la semaine après le sommet et constitue un bilan intermédiaire, un concentré de discussions en cours entre compagnon-ne-s à la suite des événements chamboulants des journées autour du 7 juillet. 
 
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Réflexions sur le G20 à Hambourg et sur la révolte 

 
Mai 2017 - Hambourg 
 
En 2016, c’était décidé: les sommets de OSCE et du G20 auraient respectivement lieu fin 2016 et en juillet 2017 à Hambourg, dans le Nord de l’Allemagne. Le premier grand sommet de chefs d’État depuis longtemps dans une métropole européenne. Dans un contexte où la mise en œuvre des jeux olympiques d’été avait échoué suite à un référendum, il n’est guère étonnant que les autorités de Hambourg y fassent venir un autre grand événement pour imposer leurs intérêts en terme de rayonnement international et de durcissement à l’intérieur. 
 
Cette manière de réaliser des projets de valorisation, de refoulement de populations et de renforcement autoritaire avec un mélange bien pensé d’arrogance répressive et de tactiques classiques de pacification démocratique a une certaine tradition ici. On trouve certainement les mêmes modèles de carotte et de bâton dans beaucoup d’autres endroits du monde, mais Ham- bourg est un exemple particulièrement significatif de la manière dont des métropoles sont développées dans le seul intérêt de la richesse, de la consommation et de la pacification. Toute une série de situations démontrent clairement que l’évolution continuelle et parfois très subtile de Hambourg jusqu’à en faire une ville des riches et des autorités a toujours besoin de projets spécifiques et ponctuels d’intervention autoritaire, pour préparer le terrain à la maximisation souhaitée de la consommation et du profit. 
 
Je parle ici tant de projets réalisés de manière très offensive pour virer les parties indésirables de la population de différents endroits et à différents moments, que du dispositif d’états d’urgence policiers dans des quartiers où les autorités ont temporairement craint de perdre le contrôle. En particulier, le nettoyage social ciblé, réalisé principalement à travers de vastes campagnes de contrôles de police et consistant à dégager les consommateurs/trices de drogues et les dealereuses des quartiers où ils et elles constituaient un obstacle à la revalorisation a mis assez régulièrement en évidence les pratiques systématique- ment autoritaires et la plupart du temps racistes de la police hambourgeoise, venant avec zèle prêter main forte à l’État et à l’économie. 
 
Lorsque des conflits et des luttes auto-organisées au- tour du contrôle et de la chasse aux pauvres, s’étendant de l’été 2013 à janvier 2014, ont abouti au point où des manifs non autorisées et parfois sauvages se sont déroulées de nombreux soirs de suite, où un poste de police a été attaqué et où une grande manifestation a donné lieu à l’une des plus grandes émeutes depuis de nombreuses années, la réaction des flics, quoique peu surprenante, a été fort éloquente. Suite à une autre attaque, contre le même commissariat de St Pauli, au cours de laquelle un flic aurait supposément été gravement blessé, ils ont justifié l’extension de l’état d’urgence dans le quartier, baptisé « zone dangereuse ». 
 
Il ne nous surprend bien entendu pas, pas plus que cela ne nous indigne, qu’il ait été démontré par la suite que l’attaque décrite ne s’était jamais produite, mais avait tout bonnement été inventée - ce fait est néanmoins assez révélateur pour remettre les événements à leur place. Il est apparu qu’en cas de perte de contrôle les autorités de cette ville disposent d’un large arsenal de moyens d’intervention, et qu’en faire la démonstration reste un but mani- feste de leurs agissements. 
 
Pour de nombreu/ses individus dans mon contexte, il a été très important d’expérimenter le fait qu’il est possible de prendre la rue, de manière consciente et à l’occasion conflictuelle, malgré l’état d’urgence policier, avec des flics à chaque coin de rue et des contrôles incessants aux alentours. Constater que la meilleure réaction à l’extension du contrôle répressif consiste à devenir incontrôlable, à agir de manière diffuse, informelle et spontanée, à surgir à différents endroits de la ville, à bloquer des rues, à mener des attaques et à pousser ainsi leur conception parfois bizarre, obsolète et centralisatrice de la domination jusqu’à l’absurde, a été une expérience très instructive. 
 
Cette courte période de moments incontrôlables a laissé en somme deux apprentissages essentiels : d’une part une confiance en soi bien plus grande face aux flics et aux autorités de cette ville en général - s’il semblait auparavant absolument impossible de se retrouver dans la rue sans autorisation et de manière sauvage, cette pratique s’est développée de plus en plus comme variante réaliste d’intervention. Par ailleurs, la fin des conflits autour de St Pauli à montré clairement l’importance de s’opposer de manière offensive à la récupération et à la pacification des conflits sociaux par des acteurs politiques de toutes sortes. La fin de la confrontation incontrôlée a en fin de compte été mar- quée par une manifestation déposée par différentes organisations du milieu de gauchiste réclamant une « solution politique pour des conflits politiques ». 
 
Quand l’appropriation politique de ce conflit social est arrivée au point où la pratique de mise en place de « zones dangereuses » a été jugée « anticonstitutionnelle » par un tribunal, la dynamique de lutte est retombée. Les flics ont bien-sûr conservé cet instrument de l’état d’urgence - on en parle juste plus de « zones dangereuses », mais d’« en- droit dangereux ». 
 
A présent, nous avons à faire dans cette ville à des événements qui, pour différentes raisons, ne sont pas séparées des situations décrites précédemment et me placent pour- tant face à des questions auxquelles il n’est pas facile de répondre. La mise en œuvre des sommets a lieu dans les salles de congrès de Hambourg - en pleine ville, à portée de vue et à un jet de pierre de quartiers dans lesquels je passe beaucoup de temps dans ma vie. Je partage cette situation avec la plupart de mes compagnon/nes de lutte et ce texte est une tentative de donner un aperçu des discussions que nous avons eues et continuons d’avoir dans le contexte des sommets. Il est vite devenu clair qu’il serait impossible d’ignorer ces événements. Même si l’impulsion était forte de rester loin de la mise en scène politique de toutes les parties impliquées, des politiciens des Etats G20 jusqu’aux mobilisations de gauche, il est difficile, voire absurde, de méconnaître l’importance sociale de ces rencontres. 
 
Au jour d’aujourd’hui, il faut reconnaître que presque tous ceux qui ont quelque chose à dire sur ces sommets se comportent exactement comme on pouvait l’attendre d’eux. Il y a à la fois les appels des grandes ONGs mendiant un raffinement de la misère mondiale, la campagne militante des gauches radicales pour la mobilisation du black bloc et le jeu truqué des prédicateurs de la « désobéissance civile », pour ne citer que quelques exemples. 
 
Les institutions qui administrent cette ville dans telle ou telle direction, de la presse aux keufs, se servent de la rhétorique prévisible de propagande contre les hordes de manifestant-e-s violent-e-s d’un côté et sur l’importance de la protestation pacifique de l’autre. Peu avant le sommet de l’OSCE, certaines parties de la ville se sont déjà transformées en cibles de l’état d’urgence, le salon des Congrès est entouré de flics jour et nuit et après quelques attaques contre des voitures de flics, beaucoup de commissariats de la ville sont clôturés avec des barbelés de l’OTAN. Il est peut-être important de mentionner ici, à quel point la disposition manifeste à l’attaque directe contre les institutions du Pouvoir me réjouit, même s’il est dommage de devoir reconnaître qu’un grand événement imposé semble être nécessaire pour une telle dynamique, tandis que la misère de la vie quotidienne devrait être une occasion suffisante pour attaquer indépendamment de provocations si évidentes de la part des autorités. 
 
Hormis des processus institutionnalisés suivant les rails largement calculables, on trouve donc des moments qui de par leur pertinence sociale, peuvent être importants pour une confrontation continue et conflictuelle avec la domination, à condition de nous poser les bonnes questions. Si nous accompagnons la fixation imposée sur les jours du sommet en juillet d’une analyse plus profonde de leur sens pour le terrain sur lequel nous luttons, des options d’action pourraient bien se dessiner dans lesquelles nos idées d’auto-organisation, d’informalité et d’attaque auraient toute leur place. 
 
Pour cela, il nous faut voir le désir et l’aspiration d’un moment collectif de révolte, de désordre et d’émeutes au cours des journées de sommet en lien avec la continuité de projets et de processus qui se poursuivront après ces journées et que nous continuerons à développer. Opposer à leur actuelle mise en place du quadrillage des expériences d’attaque collective et de pertes de contrôle, peut créer des moments dont la dynamique dépasse ces jours particuliers. 
 
Les habitant-e-s du Karolinenviertel, un quartier dont l’espace est relativement gérable dans la zone de St Pauli, ont été très concrètement touché-e-s par la mise en œuvre des sommets dès les préparatifs de celui de l’OSCE. Les salles des Congrès dans lesquelles, après l’OSCE, le G20 doit à présent aussi se tenir, délimitent le quartier au Nord et à l’Est. Le Karoviertel est bien ce qu’on peut appeler un quartier « alternatif » - habité depuis les années 50 par des travailleur-euse-s pauvres et principalement immigré- e-s, il a évolué de manière assez classique pour devenir un quartier dans lequel toujours plus de boutiques, de cafés et autres magasins chics ont progressivement ouvert et où les loyers sont en permanence à la hausse. 
 
Dans ce quartier particulier, les processus de revalorisation ont avancé cependant un peu moins vite qu’ailleurs, une présence constante de squats, un centre antiautoritaire dans lequel est entre autre hébergée une bibliothèque anarchiste et l’existence d’un Wagenplatz, expulsé en 2002, ayant contribué à une certaine continuité de protestations visibles, quoique parfois réformistes et gauchistes. 
 
Dès avant le sommet de l’OSCE en décembre 2016, des individualités antiautoritaires et anarchistes ont proposé par tracts et affiches la tenue dans le Centre Libertaire LIZ, dans lequel se trouve aussi la Bibliothèque Anarchiste Sturmflut, d’une rencontre de quartier pour affronter la situation d’occupation qui se dessinait et discuter de solidarité et d’auto-organisation. Cette initiative a rencontré un écho étonnamment positif. Il est apparu clairement, qu’il y avait et qu’il y a une forte nécessité dans le coin d’aborder à bras le corps les potentielles restrictions que les dites mesures de sécurité impliqueraient pour la vie dans le quartier, en même temps qu’une grande ouverture d’esprit pour la proposition de contrer l’état d’urgence imposé, de manière auto-organisée, informelle et autonome des organisations politiques, afin d’opposer au sentiment d’impuissance une expérience de solidarité et de soutien mutuel. Ces rencontres étaient moins consacrées à poser une critique ou une opposition vis-à-vis des sommets que marquées par le besoin d’affronter la mise en place larvée de l’occupation policière et ses impacts sur la réalité sociale avoisinante. A partir de ces rencontres désormais régulières se sont développées diverses initiatives rendant visibles la solidarité et l’auto- organisation dans le Karoviertel
 
Ainsi, des pique-niques ont eu lieu à plusieurs reprises, offrant la possibilité de prendre un espace autodéterminé et non déposé pour se réunir ostensiblement contre la présence policière et le contrôle. Des banderoles ont été accrochées dans les arbres, le soir des films ont été projetés, des tracts ont été distribués et il y avait une table d’info de la bibliothèque anarchiste. Les gens du coin apportaient de la bouffe, le bar d’à côté fournissait l’électricité et des tables, on discutait, on faisait connaissance et on parlait des possibilités d’intervention. En apprenant peu à peu à se connaître, on a essayé d’agir au-delà des pique-niques très statiques et paisibles en apparence, récemment une petite manif sauvage a traversé le quartier à la limite duquel une banderole contre les flics et le contrôle a été accrochée dans les arbres, juste en face des salles des Congrès. 
 
Le caractère plutôt « sage » et très social de ces moments organisés est actuellement au cœur des discussions sur ces expériences entre compagnons impliqués. Il s’avère que connaître des individus sur la base de l’auto-organisation et de la solidarité signifie en général aussi faire l’apprentissage des limites des relations qui se tissent et qu’il ne faut pas perdre de vue l’intervention individuelle et offensive dans les contextes où elles se donnent, si nous ne voulons pas en rester au réconfort de fêtes bigarrées et d’agréables soirées-barbecue entre voisin-e-s. De bonnes relations sociales, la connaissance mutuelle avec les gens dans les rues où on bouge et où on lutte sont très importantes - mais il devient de plus en plus clair qu’il est essentiel de garder en tête le potentiel subversif de l’auto-organisation et de la solidarité et de questionner dans cette optique les initiatives menées. Défions-nous la paix sociale, la battons-nous en brèche ou bien sommes- nous en train de créer des structures dans lesquelles la misère sociale et l’assaut constant des autorités seraient simplement plus supportables? 
 
La solidarité naissante, les relations nouées ne sont combatives qu’à partir du moment où elles sont le point de départ pour une confrontation plus vaste avec les motifs qui les ont fait surgir. 
 
Le fait qu’après la première rencontre de quartier les flics rendent visite à trois personnes apparaissant sur le bail du Centre Libertaire pour les interroger sur un possible lien avec une attaque incendiaire ayant eu lieu à peu près dans les mêmes temps contre le Palais des Congrès montre clairement que l’initiative déplaît aux autorités. Suite à l’at- taque, les flics ont aussi interrogé beaucoup de voisin-e-s sur le pas de leur porte quant à leur éventuelle participation à l’assemblée. Des flics en civil rodent autour des pique- niques et les invitations collées sur les portes sont régulièrement enlevées, cependant les keufs ne sont pour l’instant pas intervenus dans les initiatives publiques. 
 
Accepter cette prétendue paix ne peut évidemment pas être une option, nous devons donc trouver où nous pouvons attaquer vu la présence et la surveillance policières permanentes. Des expériences au cours des dernières semaines démontrent que leur appareil sécuritaire a des failles qu’ils ne seront pas en mesure de combler. L’incendie d’un four- gon de police destiné à surveiller le domicile du maire sous le nez des keufs montant la garde, celui des véhicules du syndicat de police à proximité du commissariat central de Hambourg, ou encore celui de quatre fourgonnettes sur le parking d’un poste de police montrent par exemple que l’attaque reste possible malgré tout leur arsenal. 
 
Dans une situation dans laquelle presque tout le monde se concentre en premier lieu sur un événement spécifique, il devient primordial de mettre en évidence que les possibilités d’attaque contre ce monde d’exploitation et de domination sont multiples – Le cours bien huilé du quotidien dans la ville robotisée de Hambourg, le transbordement effréné de marchandises dans le port, le développement croissant de la ville en Moloch qu’ils appellent « Smart City » sont des terrains de confrontation difficiles à contrôler, malgré toutes leurs manigances militaires. L’intervention continue et destructive dans le système proprement fonctionnel de cette ville peut signifier expérimenter pour nous-mêmes le choix autodéterminé et im- prévisible des champs de notre attaque, indépendamment des situations méticuleusement préparées lors des sommets. L’interruption du quotidien peut mettre en évidence qu’il est possible d’attaquer la détermination de notre vie par d’autres, avec des moyens simples et avec un effet potentiellement de grande ampleur. Cette ville est peine de nœuds de jonction conditionnant le fonctionnement de cette fourmilière programmée. 
 
Les transports publics ne fonctionnent que si leurs installations de signalisation marchent, les sociétés de transport ne gagnent que si leurs distributeurs de tickets sont intacts, Le travail ne peut être effectué que si les esclaves salariés arrivent au boulot sur des routes sans obstacles et à condition que le réseau d’électricité et de données reste indemne. Il n’y a souvent qu’un « clic » entre l’ordre mortifère et le chaos vivant, et découvrir où se trouvent ces points peut être essentiel pour notre capacité à jeter de l’huile sur le feu dans des situations où ils perdent le contrôle. 
 
 

G20 à Hambourg : journées de révolte 

 
Juillet 2017 - Hambourg 
 
Au cours du sommet du G20, des milliers de personnes ont porté leur rage dans les rues de Hambourg contre la violence des flics et contre le monde qu’ils défendent. Dès la semaine avant le sommet, les keufs ont claire- ment annoncé la couleur : ils avaient prévu de se lâcher et l’attaque sans sommation de la manifestation du jeudi soir a confirmé qu’ils suivraient bien cette ligne. De manière évidente, ils ont assumé le fait de provoquer des blessures graves, voire des morts, lorsqu’ils ont disloqué la première partie de la manif dans une ruelle étroite à coups de matraques, de gazs et de canon à eau – ça a été la panique et pour beaucoup la seule façon de s’en sortir a été de passer un haut mur. Il y a eu de nombreuse-s blessé-e-s, mais aussi des scènes de solidarité impressionnante lorsque des personnes se sont mutuellement aidé à escalader le mur, en même temps que les flics n’arrêtaient pas de se faire canarder d’en haut et que des lignes fort avisées de manifestant-e-s encaissaient les coups pour protéger les autres. 
 
La matraque dans la gueule, le genou sur la nuque, le poivre dans les yeux doivent rappeler qui est aux com- mandes de ce monde.
Au cours de ces journées, les représentants des 20 pays les plus riches se retrouvaient pour statuer sur le main- tien de cet ordre de misère. Des milliers de flics devaient protéger ce spectacle de celles et ceux qui, à l’occasion de ce sommet, voulaient exprimer leur rage, leur haine, leur résistance à l’arrogance des autorités. 
 
Dans la nuit du jeudi au vendredi, nombreux sont ceux et celles qui ont reconquis une partie de la dignité que les rapports de merde nous volent jour après jour, en attaquant les keufs à plein d’endroits, en érigeant des barricades et en ouvrant avec des marteaux, des pierres et des flammes, de nombreuses brèches dans la façade d’une société qui ne réserve de place qu’à qui fonctionne, consomme et s’adapte. 
 
Les barricades de la nuit à peine éteintes, le vendredi matin les premières voitures commençaient à cramer. A différents endroits de la ville, des groupes se sont mis en route pour montrer que ces jours signifieraient bien plus que de l’attaque d’une rencontre de dirigeants. Entre autres, des agences immobilières, des voitures de luxe, le tribunal pour mineurs, des banques et les vitrines rutilantes des centres commerciaux sont devenus des cibles et les premiers keufs ont aussi dû prendre leurs jambes à leur cou sous les attaques. Certains ont bloqué d’autres points de la ville massivement avec des sit-ins et des manifs, sans que les moyens choisis ne se contrarient. 
 
Le vendredi, la rage a provoqué un souffle de chamboulement, malheureusement trop rare dans ce contexte. 
Perturber la paix de cimetière citoyenne et interrompre la normalité, entraver le fonctionnement de la ville des riches et de la consommation et ne laisser aucun doute sur le fait que l’État et ses flics ne peuvent nous empêcher de vivre est une expérience très stimulante. 
 
Le vendredi, une partie de l’espace dont les autorités ont brutalement dépossédé les personnes de cette ville dans l’intérêt de leur mise en scène de la domination a été reconquis par la lutte pour quelques heures. 
Grâce aux barricades enflammées et aux attaques constantes contre les flics, un espace a été créé dans lequel il était possible de décider pour quelques heures de ce qu’on voulait faire, indépendamment du pouvoir de l’Etat. 
 
Il y a eu des pillages, des gens ont pris ce dont ils avaient besoin ou envie, d’autres encore ont détruit des symboles de ce monde de consommation qui tue tout sens d’une vie sauvage et libre, en les livrant aux flammes. Une impressionnante variété de personnes est apparue, partageant la rue, pillant, montant des barricades et at- taquant les flics – beaucoup d’entre elles ne faisait probablement pas partie de quelque milieu protestataire. 
 
Si un quelconque porte-parole autoproclamé de quoi que ce soit prétend que cette émeute se serait contenté de s’enivrer d’elle-même sans ligne politique, il faut bien lui donner raison, malgré tout le dégoût que ne peut que nous inspirer son opportunisme servile.
 
Cette reprise nécessairement violente d’un espace do- miné par les flics, signifiant une rupture fondamentale avec ce qui nous est imposé au quotidien, n’a rien à voir avec un agenda politique ou le programme de quelque alliance, mais avec la réappropriation individuelle de notre vie. 
 
Si ici ou là un certain malaise va de pair avec l’incertitude, voire la peur face à une situation dans laquelle l’ordre habituel déraille effectivement, c’est compréhensible et cela fait même intégralement partie d’une rupture fondamentale avec cette réalité. 
 
Au delà de cela, il nous faut nous demander en l’occurrence qui a peur, de qui ou de quoi. Si une société aussi opulente et riche que celle de cette ville d’argent et de commerce craint pour sa propriété et si le côté terrible des destructions tient au fait que des marchandises ont été volées et des possibilités d’achat saccagées, alors cette société mérite effectivement d’être détruite. 
 
Notre domestication dans ce monde d’autorité est très vaste. Le flic si souvent invoqué dans notre tête est tenace. 
Peu de personnes se représentent ce que peut signifier chasser les autorités, c’est pourquoi il est indispensable de créer des moments où nous expérimentons leur absence. 
 
Le fait que dans ces situations certains prennent aussi des décisions qui après coup nous apparaissent comme inadéquates ou irresponsables, n’a rien de particulièrement surprenant, dans ces moments comme dans 
d’autres situations de la vie. Il faut aussi parler de cela, si nous voulons nous rapprocher d’une conception de la liberté. Il doit cependant être clair qu’il n’y a pas d’objectivité – surtout pas dans la révolte. Celle-ci consiste essentiellement dans la responsabilité et l’initiative individuelles de quiconque veut y contribuer. 
 
Pour l’heure, il est manifestement très facile de se faire avoir par le discours des autorités et des gardien-ne-s de cet ordre. Ce sont les flics qui ont volontairement mis des vies en jeu ces derniers jours, il n’y a aucun doute là dessus. 
 
Laisser le stress et la propagande remettre en cause l’expérience stimulante et libératrice de ces moments, serait une grossière erreur. 
 
Cette fin de semaine, la résistance a abandonné le terrain d’une contestation opportunément orquestrée de manière politique et il apparaît une fois encore que dans la révolte la question posée est de savoir de quel côté on décide d’être. 
 
Du côté de celles et ceux qui veulent voir cette société, cet ordre, ce système en ruines, dans le sens d’une vie de liberté et de dignité, avec toutes les erreurs et les triomphes qu’amène la révolte. 
 
Ou du côté de celles et ceux qui dans le doute font le constat qu’ils préfèrent un milieu contestataire confortable et prévisible, encadré par la sécurité des rapports totalitaires, plutôt que de se jeter dans l’eau peut-être froide de la liberté. 
 
Des anarchistes pour la révolte sociale 
 
[Avalanche, n.11, juillet 2017]